lundi 24 septembre 2012

La mort, le deuil et l'accompagnement.

Lors de ma formation, j'ai effectué mon premier stage dans un Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées et Dépendantes (EHPAD). Moi qui n'avait jusqu’alors accompagné qu'un jeune enfant TED (trouble envahissant de développement), j'avais alors beaucoup d'idées préconçues sur le métier et j’eus beaucoup de mal à trouver mon positionnement. Ce qui m’effrayait le plus et qui fut l'objet de ma soutenance était : "La distance professionnelle".

Serais-je trop distant ? Trop proche ? Comment allais-je m'en sortir avec cette histoire alors que mon travail est un travail dit de "proximité" et "d’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne" ? Et la mort, le deuil, comment allais-je gérer cela ?

Lors de ce stage, il y avait une dame qui souffrait de "démence sénile". Je n'ai pas remarqué de troubles de la mémoire de type Alzheimer. C'est à dire qu'elle se souvenait très bien de moi, de mon prénom et qu'elle avait pris l'habitude que je l'accompagne et je l'ai fais durant toute la durée de mon stage. J'ai également fais plusieurs "études de situations" sur l'accompagnement effectué auprès d'elle. Je vous livre la première et des extraits des suivantes pour en arriver au vif du sujet : "Le deuil".

"Par soucis d’anonymat je donnerai à cette personne le pseudonyme de « Jeanne » afin de rester en conformité d’avec la loi du 2002-2 qui précise que « Toute donnée concernant l'usager doit rester confidentielle».
Je suis entré en contact avec Jeanne pour la première fois il y a quatre jours. Avec mon AMP référent, nous étions en train de réveiller les résidents aux alentours de 7h30 du matin. Entré dans sa chambre elle criait « au secours, au secours », je m’empressais auprès d’elle afin de savoir ce qui se passait, elle avait fait un cauchemar et semblait ne pas parvenir à dissocier le rêve de la réalité. Je la rassurais donc en lui disant « tout va bien ne vous inquiétez pas, ce n’était qu’un cauchemar, nous sommes là ».
Jeanne appartient au GIR 1 et toutes ses variables du groupe GIR sont dans le « C ». C'est-à-dire qu’elle souffre d’une perte d’autonomie totale : Elle ne fait ni spontanément, ni totalement, habituellement, ni correctement, les actes de la vie quotidienne tels que : La toilette, l’habillage l’alimentation l’élimination les transferts (se lever, se coucher, s'asseoir) les déplacements à l'intérieur et à l'extérieur. Elle éprouve également des difficultés pour communiquer à distance, elle a des moments d’incohérence et souffre d’une perte du sens de l’orientation. Elle est toutefois capable d’utiliser la sonnette d’alarme qui se trouve dans sa chambre.
Le médecin l’a diagnostiqué de « démence sénile » qui est « Un affaiblissement psychique progressif et global ». En effet il lui arrive d’avoir des hallucinations, de voir des souris qui dansent dans sa chambre, ou alors des éléphants d’Asie qui la traverse chevauché par des indous, ou encore de croire être dans un « bordel » ou un « repaire mafieux ». Il me semble à la vu du diagnostique et de mes observations, qu’elle est en « perte totale de repaires concrets ».
Elle communique bien verbalement mais il faut bien se rapprocher d’elle car de loin, l’expression verbale est inaudible. Elle communique aussi de façon non verbale avec des expressions du regard, des mimiques du visage et elle aime que nous lui prenions la main et le réclame spontanément asses souvent d’ailleurs.
Elle a de mauvais rapports avec la plupart personnel soignant et lorsque c’est le cas elle les injurie alors qu’ils lui font la toilette, lui donne à manger, la transporte au salon ou dans sa chambre etc… Il lui arrive aussi de vouloir –car au vu de son étant physique cela n’est pas possible- être violente physiquement et de tenter de frapper le personnel qui ne lui convient pas tout en l’insultant et lui reprochant de ne pas être suffisamment compétent.
Socialement elle est isolée et le peu de famille qui lui reste ne lui rend pas visite car « ils habitent trop loin » m’a-t-elle dit. Après la toilette et le petit déjeuné, elle passe sa matinée dans le salon devant le poste de télévision en compagnie des autres résidents. L’après midi elle reste seule dans sa chambre et n’a plus le désir de participer aux animations.
Je me suis souvent occupé d’elle ces derniers jours et j’ai réussis à avoir de bons rapports. C’est une personne qui a besoin de beaucoup d’écoute et elle a souvent besoin d’être rassurée. Par exemple, lors des repas elle croit toujours que nous lui mettons des médicaments dans les aliments à son insu, ou que des membres du personnel lui volent ses bijoux. Elle aime que nous soyons prévenant, que nous verbalisons ce que nous allons faire et que nous lui expliquons afin qu’elle soit collaboratrice des actions auxquelles nous l’assistons."
Étude N°2 (extrait)

"Elle a des pertes de mémoire, des absences, des hallucinations très fortes, hier, alors que je l'accompagnais au repas, elle se croyait attaquée par des gangsters tout droit sorti du poste de télévision qu’elle prenait pour une fenêtre. Elle trouvait que ma façon de taper à répétition ma cuillère à soupe dans l’assiette était une façon efficace d’appeler « police secours »."
On comprends aisément qu'il est très difficile d'accompagner cette personne tant la réalité lui apparaît comme faussée.

C'est pourtant avec cette personne que j'ai eu  le rapport le plus réel avec notre réalité ultime : "La mort". C'est alors que je l'accompagnais aux toilettes que "Jeanne" nous regardait un autre AMP et moi même tristement. Je voyais bien que quelque chose n'allait pas et j'eus le sentiment de savoir de quoi il était question. Je lui posais alors la question "quelque chose ne va pas Madame Jeanne ?" elle me répondit : "J'ai peur, j'ai peur, j'ai peur...". "De quoi avez vous peur" lui répondis-je ?" 

"J'ai peur de mourir..."

Elle était en larmes, et j'avoue que nous aussi nous l'étions intérieurement.  Heureusement, à ce moment du stage, j'avais pris de l’assurance et j'avais appris ce qu'il ne fallait pas dire. Toutefois, j'ignorais ce qu'il fallait dire. Pourtant c'est tout naturellement que ces mots sont sortis de ma bouche :

"Vous n'êtes pas seule, rassurez vous, nous ne vous abandonnerons pas, nous sommes avec vous, nous vous accompagnons". Loin de réduire le réalisme de la situation de cette dame, il fallait au contraire entrer en concordance avec celui-ci en ne minimisant rien mais en la soutenant.

Le soir même, alors que j'accompagnais "Jeanne" lors de son repas, elle riait, elle chantait à tue tête "Nam-myoho-renge-kyo, Nam-myoho-renge-kyo" en boucle. Il est question d'une prière bouddhiste. Bref, Jeanne était heureuse, libérée de la charge anxiogène de sa peur. 

***

Notre travail est d'accompagner les personnes dans le deuil d'elles même. Le deuil ? C'est "la perte de l'objet aimé" selon Freud. Cela peut être des clés de voitures,  la voiture, le boulot, le conjoint, voire une bouteille de bière maladroitement tombé de nos mains alors que nous n'en avions bu qu'une gorgée.

La première phase : Le choc, de déni.

"Ah [Bip], c'est pas possible, je n'y crois pas, ma bièèèèère" (et mes chaussures)

Deuxième phase:  la colère.


"Je suis vraiment un [bip] et toi ? T'as même pas été [bip] de rattraper cette [bip] de bière ?"

Troisième phase : La négociation.

"Bon tu crois qu'on peut aller en chercher une autre? Le magasin est encore ouvert ?"

Quatrième phase : L'acceptation.

"Bon, il est fermé, pfff, ok c'est pas grave."

Il fallait bien détendre un peu l'atmosphère avant de revenir à notre sujet difficile. Notre travail est d'amener les personnes à accepter le fait qu'elles vont mourir, Hé oui, je sais c'est pas drôle et on a tendance à freiner des quatre fers dans l'accompagnement de cette réalité. Mais si nous voulons faire notre travail au mieux, il nous faut accompagner ces personnes dans ce processus de deuil d'elles même et les conduire à l'acceptation qui en est la dernière phase.

Comment faire ? On ne peut pas aborder le sujet comme ça, il faut amener les personnes à nous en parler. Les personnes âgées savent très bien qu'elle vont mourir. Ce qu'il faut, c'est les mettre en confiance, les soutenir, avoir de l'empathie pour elles. Bref, il faut être authentique. Ahhh et la "distance professionnelle" me direz vous ? Et bien la "distance" ça vaut que dalle, ça n'existe pas, et si ça existe et bien on ne fait pas notre métier correctement. La seule chose qu'il nous faut faire, c'est prendre garde à notre "projections" et à nos "transfert". En parler en équipe permet de prendre de la distance, faire des écrits également, suggérer un "groupe de parole" à la direction qui pourrait figurer dans le "projet d'établissement" si il n'y figure pas déjà. 

Astuce : Pour accompagner les personnes dans le deuil? Leur poser des questions détournées : Avez vous bien dormi ? Avez vous fais des rêves ? Pourquoi n'arrivez vous pas à dormir ? A quoi pensez vous ? Voulez vous que nous en parlions ? 

En effet, la peur de la mort, se manifeste la plupart du temps, le soir et pendant la nuit. Faire attention aux transmissions de l'équipe de nuit et questionner. 


8 commentaires:

  1. J'avais pris le parti de mettre les pieds dans le plat et d'en parler franchement, et je ne l'ai pas regretté. Bon, ok, faut y mettre les formes, mais quel soulagement quand les mots sont dits. La parole se libère, on peut avancer dans les étapes du deuil, chemine ensemble. Oui c'est dur, oui ça fait peur, mais c'est encore pire de passer à côté.

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  2. Tu as surement raison Babeth, mais j'avoue qu'en tant que stagiaire, avec toutes les précautions que l'on nous demande de prendre et mon "côté taciturne" sur les questions difficiles. Je n'ai pas osé en parler directement à une autre résidente qui s'est éteinte cet été... Depuis que je suis dans le sociale auprès de personnes adultes handicapées autonome physiquement (qui courent, se disputent, s’échappent, boivent un coup au village alors qu'ils ont un "traitement de cheval"). J'ose un peu plus "mettre les pieds dans le plat". Ensuite, cela se fait un peu "au feeling", en poussant le questionnement sur les "mauvais sommeils" on fini bien par sentir les choses. Merci beaucoup pour le partage de votre expérience. ;)

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  3. Bonjour Marc,

    Merci pour votre beau témoignage.

    Je vous propose un dialogue autour de ce témoignage très riche.

    J'ai mis dans votre texte mes propres commentaires. Au plaisir d'en discuter.

    Pierre

    outilsrelationnels.com


    Entré dans sa chambre elle criait « au secours, au secours », je m’empressais auprès d’elle afin de savoir ce qui se passait, elle avait fait un cauchemar et semblait ne pas parvenir à dissocier le rêve de la réalité
    Je la rassurais donc en lui disant « tout va bien ne vous inquiétez pas, ce n’était qu’un cauchemar, nous sommes là ».

    Ma suggestion : Très bien de la rassurer comme vous avez fait, avec empathie. Mais des fois ça ne marche pas car la personne risque de comprendre que son émotion est niée ou minimisée. Pour elle, son cauchemar a une réalité, il est aussi réel que ce que nous, adultes bien portants, appelons la réalité.

    Ma Suggestion : avant de rassurer : Dire par ex avec une voix douce et apaisante : "qu'est-ce qui vous a fait peur ?"Cela donne à la personne l'occasion de parler de sa peur, elle se sent davantage comprise, c'est un outil efficace. Si la personne vous dit par ex : je vois des serpents, ou je vois un homme sous mon lit : "il est comment cet homme?" ou "ils sont comment ?"en parlant alors de sa peur elle la met alors à distance. C'est un outil qui marche bien.

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  4. Elle a de mauvais rapports avec la plupart personnel soignant et lorsque c’est le cas elle les injurie alors qu’ils lui font la toilette, lui donne à manger, la transporte au salon ou dans sa chambre etc…

    Très classique, elle sent qu'ils ne font pas l'effort de la comprendre.

    Il lui arrive aussi de vouloir –car au vu de son étant physique cela n’est pas possible- être violente physiquement et de tenter de frapper le personnel qui ne lui convient pas tout en l’insultant et lui reprochant de ne pas être suffisamment compétent. = vous ne me comprenez pas, à quoi servez-vous ? sa violence vient de la frustration de ne pas être comprise



    Par exemple, lors des repas elle croit toujours que nous lui mettons des médicaments dans les aliments à son insu, ou que des membres du personnel lui volent ses bijoux. Le vol des bijoux est classique.

    Mon commentaire : Ça symbolise la perte d'un être cher car la personne désorientée parle par symboles, quand elle n'a plus les mots ou qu'elle ne se sent pas comprise.

    Là aussi on peut reformuler: Vous me dites que j'ai volé vos bijoux (si vous avez été accusé) – Oui ! – Ils ont l'air très importants pour vous ces bijoux…- Oui ! – C'est mon mari qui me les a offerts ! → apaisement car la perte réelle, celle du mari par ex., a été verbalisée

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  5. Elle aime que nous soyons prévenant, que nous verbalisons ce que nous allons faire et que nous lui expliquons afin qu’elle soit collaboratrice des actions auxquelles nous l’assistons."Bien vu, ça lui donne une liberté, un pouvoir sur ce qui se passe


    "Elle a des pertes de mémoire, des absences, des hallucinations très fortes, hier, alors que je l'accompagnais au repas, elle se croyait attaquée par des gangsters tout droit sorti du poste de télévision qu’elle prenait pour une fenêtre. (idem, "ils sont comment")

    On comprend aisément qu'il est très difficile d'accompagner cette personne tant la réalité lui apparaît comme faussée.

    Mon commentaire : Les outils que je viens de décrire permettent de la rejoindre dans sa réalité, au lieu de vouloir à tout prix la faire venir dans la nôtre, ce qui ne sera pas possible…Peu importe que sa réalité soit "faussée" à nos yeux, c'est de l'y rejoindre qui est efficace. C'est d'ailleurs ce que vous faites plusieurs fois, Marc, dans ce texte.

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  6. C'est pourtant avec cette personne que j'ai eu le rapport le plus réel avec notre réalité ultime : "La mort". C'est alors que je l'accompagnais aux toilettes que "Jeanne" nous regardait un autre AMP et moi même tristement. Je voyais bien que quelque chose n'allait pas et j'eus le sentiment de savoir de quoi il était question. Je lui posais alors la question "quelque chose ne va pas Madame Jeanne ?" elle me répondit : "J'ai peur, j'ai peur, j'ai peur...". "De quoi avez vous peur" lui répondis-je ?"

    Excellente question ! vous la rejoignez dans son univers, là. Et vous êtes partie de votre empathie, vous avez fait confiance à votre intuition.

    "J'ai peur de mourir..."

    Elle était en larmes, et j'avoue que nous aussi nous l'étions intérieurement.

    Attention, Marc, protégez-vous…l'empathie ce n'est pas ressentir tout ce que l'autre ressent, il faut le faire avec une certaine distance…sinon on ne tient pas la distance justement !

    Heureusement, à ce moment du stage, j'avais pris de l’assurance et j'avais appris ce qu'il ne fallait pas dire. Toutefois, j'ignorais ce qu'il fallait dire. Pourtant c'est tout naturellement que ces mots sont sortis de ma bouche :

    "Vous n'êtes pas seule, rassurez vous, nous ne vous abandonnerons pas, nous sommes avec vous, nous vous accompagnons". Loin de réduire le réalisme de la situation de cette dame, il fallait au contraire entrer en concordance avec celui-ci en ne minimisant rien mais en la soutenant.

    Tout à fait d'accord avec votre commentaire Marc. Il ne faut surtout pas dire "c'est pas grave". Ca a marché bravo. C'est votre qualité de présence d'écoute, d'empathie, qui a fait ce petit miracle de communication.

    Toutefois, au niveau des mots, les miens seraient différents, du moins j'ajouterais un petit quelque chose : reformuler avec une voix apaisante : "Vous avez peur de mourir, Madame Jeanne, c'est bien cela ?"et en même temps la toucher comme vous savez le faire…je sais par expérience que vous aurez alors un degré d'apaisement supplémentaire car en plus d'être apaisée elle se sentira comprise. Mais je nuance mon propos : ce que je dis marchera dans pratiquement tous les cas, néanmoins ce qui compte, c'est ce que vous avez senti qu'il fallait faire avec Jeanne. La preuve, ça a marché.

    Variante : quand la personne vous dit qu'elle a envie de mourir, ou qu'elle en a marre de vivre. C'est pareil :"vous avez envie de mourir, c'est ça ?" Cela, en utilisant ses mots à elle. Par exemple :"Papa est parti, Françoise est partie, je veux partir…"- "Tu veux partir Maman ?"- Oui, je veux partir…" alors ma mère parle de cette envie…et deux minutes après elle me dit : "ça m'a fait du bien de te parler…" et elle est toute joyeuse et pleine de vie ! l'émotion a été accompagnée, peur ou tristesse, elle a été acceptée, la vague a déferlé…et ça a créé un petit moment de bonheur, de communication heureuse !

    Le soir même, alors que j'accompagnais "Jeanne" lors de son repas, elle riait, elle chantait à tue tête "Nam-myoho-renge-kyo, Nam-myoho-renge-kyo" en boucle. Il est question d'une prière bouddhiste. Bref, Jeanne était heureuse, libérée de la charge anxiogène de sa peur.

    Bravo pour cet accompagnement ! et encore merci de ce partage Marc !

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  7. Merci beaucoup pour votre partage Pierre, vous avez tout à fait raison, la reformulation est un très bon outil pour instaurer une relation qui permettent d'aller plus en profondeur afin de dégager ce qui est vécu comme difficile par la personne. Je n'ai fais que 12 semaines de stage dans cet établissement et je me rends bien compte qu'avec les élément donnés par la formation d'alors, cela n'était pas suffisent pour accompagner correctement un sujet si difficile. La difficulté de ce sujet réside dans les diverses projections que nous faisons sur la mort. De nos représentations, de nos constructions si difficiles à défaire car ici, il ne nous est pas possible d'en faire l'expérience autrement.

    Merci beaucoup pour votre contribution Pierre et au plaisir de vous relire :)

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    1. Ne vous excusez pas Marc, en quelques semaines vous avez compris et pratiqué l'essentiel

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